La précarité alimentaire en France : une bombe à retardement sociale ?

19 août 2025
assiette

Loin d'être un lointain souvenir, la faim et l'angoisse de ne pas pouvoir se nourrir convenablement sont une réalité grandissante en France. Une étude du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC), parue au début de l’été, jette une lumière crue sur les multiples facettes de la précarité alimentaire, un phénomène qui s'ancre durablement dans le paysage social français, exacerbé par les crises successives. Les chiffres sont sans appel : jusqu'à 16% de la population, soit près d'un Français sur six, serait aujourd'hui touchée par une forme d'insécurité alimentaire.

Cette nouvelle enquête, intitulée "Les multiples facettes de la précarité alimentaire", vient confirmer une tendance alarmante observée depuis la crise sanitaire de la Covid-19 et la flambée inflationniste qui a suivi. Si le chiffre de 16% représente la frange de la population qui déclare devoir se restreindre sur son alimentation faute de moyens financiers, d'autres données de l'étude affinent ce constat inquiétant. Ainsi, 12% des personnes interrogées affirment qu'il leur arrive de ne pas avoir assez à manger, tandis que 9% sont contraintes de sauter des repas chaque semaine ou de réduire les portions dans leurs assiettes.

 

Des visages multiples derrière les statistiques

Derrière la froideur des pourcentages se dessinent des parcours de vie marqués par la vulnérabilité. L'étude met en évidence une accentuation des disparités socio-démographiques face à ce fléau : les femmes, les jeunes, les familles monoparentales et les ménages aux revenus les plus faibles sont en première ligne. Pour ces populations, l'alimentation est devenue une variable d'ajustement budgétaire, prise en étau entre des dépenses contraintes (loyer, énergie) en constante augmentation et des revenus qui stagnent.

L'inflation des produits alimentaires a agi comme un puissant catalyseur de cette précarité. La hausse des prix a contraint de nombreux ménages à revoir drastiquement leur manière de consommer. Une étude précédente du CREDOC, publiée en décembre 2023, révélait déjà que l'impossibilité d'avoir accès aux aliments souhaités se généralisait. Concrètement, cela se traduit par une moindre diversité dans l'assiette, avec un report vers des produits moins chers, souvent de moindre qualité nutritionnelle, au détriment des fruits, des légumes, de la viande et du poisson.

 

Des stratégies de "débrouille" et le poids de la honte

Face à cette situation, les personnes concernées développent des stratégies de "débrouille", comme le révèle une autre publication de 2023 du CREDOC. La chasse aux promotions, l'achat de produits en date courte ou le recours aux invendus des marchés sont devenus le quotidien de beaucoup. Cependant, ces stratégies ont leurs limites et ne suffisent pas toujours à garantir une alimentation suffisante et équilibrée.

Un autre enseignement majeur de l'étude est le non-recours important à l'aide alimentaire. Le sentiment de honte, la peur du jugement et la méconnaissance des dispositifs existants constituent des freins puissants. Beaucoup de personnes en situation de précarité alimentaire ignorent qu'elles pourraient bénéficier d'un soutien ou n'osent tout simplement pas franchir le pas des associations caritatives.

 

Des conséquences sanitaires et sociales préoccupantes

Au-delà de la faim, la précarité alimentaire a des répercussions profondes sur la santé et le bien-être des individus. Une alimentation de mauvaise qualité, carencée en nutriments essentiels, favorise le développement de maladies chroniques telles que l'obésité, le diabète ou les maladies cardiovasculaires.

Sur le plan social, la précarité alimentaire est un facteur d'isolement et d'exclusion. La privation de moments de convivialité autour d'un repas, la honte de ne pas pouvoir nourrir correctement ses enfants, sont autant de blessures qui fragilisent le lien social et l'estime de soi.

Face à l'ampleur du phénomène, les conclusions du CREDOC sonnent comme un appel urgent à l'action. Si le tissu associatif joue un rôle indispensable en première ligne, la lutte contre la précarité alimentaire nécessite une réponse structurelle et politique forte. Pour l’AFOC, cela passe par des mesures de soutien au pouvoir d'achat des plus modestes, une meilleure information sur les aides existantes et une politique de prévention ambitieuse pour garantir à tous l'accès à une alimentation digne, saine et durable. La sécurité alimentaire n'est pas seulement un enjeu de solidarité, c'est un pilier fondamental de la cohésion sociale et de la santé publique.